Le misanthrope

Un misanthrope intemporel traversant les siècles pour dire et redire le monde jusqu’à la folie. Pris au piège de la cour, tous les personnages errent et développent des stratégies de survie. Qui ne se plie pas doit partir. C’est la règle. Elle a fait la vie de Molière. Cette pièce est le premier opus du projet Moliere 401 qui verra naître ensuite Scapin, Dandin et le mariage forcé pour le théâtre forestier 2023.

Rarement dans l’histoire du théâtre une pièce aura été à ce point disséquée.

À tel point que tous les personnages de ce chef d’œuvre souffrent d’une image stéréotypée qui leur colle à la peau. La coquette, la prude, la sage, l’atrabilaire, les ridicules petits marquis, le raisonnable et l’extravagant… 

Je souhaite revenir au texte. À Molière. C’est certainement sa pièce la plus autobiographique et l’humanité profonde qui se dégage de tous les personnages mérite une réflexion approfondie. Le mal-être généralisé de ces hommes et de ces femmes rend la pièce violente, sourde et drôle. L’humour est omniprésent et permet la survie dans une époque policée où le paraître régente les rapports humains.

La maison de Célimène, lieu unique de la représentation, est un lieu de rendez-vous. On fait salon, on se place, et on ne peut s’y aimer que sous le regard des autres et de l’incontournable Louis XIV. Le Roi est certainement le protagoniste le plus important de cette pièce. Il est absent et partout à la fois. La scénographie et les costumes rendent compte de cet état. Les personnages sont nobles. Louis qui est jeune à l’époque du Misanthrope n’a pas oublié la fronde. Le prix à payer sera élevé…

Il faut faire entendre le texte et ne pas aller à la facilité et à la convention d’une prétendue manière de jouer la comédie moliéresque.

On se rend compte de l’extrême intemporalité du propos. Car ce n’est rien moins que notre rapport du monde, à l’amour au pouvoir qui est le sujet de la pièce.

Tous les personnages du Misanthrope développent des stratégies de survie. Ayant choisi de vivre proche de la cour, ils doivent en assumer les règles et les conséquences. Dans ce formidable jeu de société, pas d’alternative, on se plie ou on part. Mais l’affect ronge Alceste. Cette incapacité à dominer le sentiment, cette contradiction, cet état de torture mentale a fait la vie de Molière. Il nous les restitue ici et la magie de l’œuvre transforme le drame personnel en mythe qui nous questionne tous les jours.

Serge Lipszyc

Cela se peut, Madame, on ne voit pas les coeurs…